Entretien avec Dorothée Sornique

Conférence-spectacle sur Hernani de Victor Hugo

Après l'interview d'Emilie Chauveau, le suivi des ateliers, voici un entretien avec Dorothée Sornique, metteure en scène de la cie LaBase, qui accompagne les élèves de seconde de l'option théâtre de Berthelot sur le projet Hernani commencé en janvier dernier.

Ton parcours ?

Petite fille de médecin de campagne qui a hésité toute sa vie entre la médecine et le spectacle (théâtre aux armées, cabarets parisiens avec la clique Michel Serreau, Grello, Roca...) et fille d'artistes peintres-graveurs-sculpteurs, j'ai commencé le théâtre à quatorze ans à Châtelleraut. En reprenant au pied levé le rôle de Marianne de Tartuffe de Molière, j'ai pris conscience qu'on vivait dix fois plus fort sur scène que dans la vie. Une fois éprouvée cette sensation extraordinaire, difficile de ne pas s'y accrocher. Après le bac et deux ans de fac d'histoire de l'art, je suis partie à Paris me former à différentes techniques de jeu (atelier Andréas Voutsinas pour l'Actor studio, Cours Raymond Girard, stages Grotowski-Barba, J.-P. Denizon disciple de P. Brook, Richard Brunel et Alain Enjary avec le centre Dramatique Poitou-Charentes... ). J'ai monté sur place une première compagnie pour produire Les Bonnes de Jean Genet, puis intégré comme comédienne le collectif BU dont le premier spectacle, Fando et Lis de Fernando Arrabal, sera joué sous le chapiteau du cirque Romanès, Place de Clichy entre autres.

Tes débuts à Châtellerault ?

En 1998, le collectif Bu avait répondu à une sollicitation de Châtellerault en vue de créer durant  une année différentes propositions spectaculaires régulières autour du cabaret du Chat Noir. Nous avons fini par nous installer ici, cie et famille. Le collectif Bu, plus tard conventionné par la Région et la Drac, représenta une aventure passionnante où créativité, liberté de pensée voire insolence, s'exprimaient à travers notre présence régulière à Avignon (Journal du Out), un fanzine et la création de spectacles où musiciens, metteurs en scène, comédiens, auteurs, techniciens collaboraient et portaient à tour de rôle leurs projets. C'est à cette époque que je suis tombée dans la mise en scène (Soeurs secrètes, de Philippe Sabres, Angelo Tyran de Padoue, de Victor Hugo), en encadrant également la troupe du Théâtre de la Perce Oreille avec laquelle nous avons diffusé des oeuvres majeures à travers les villages et les petites villes de la région (La mouette de Tchékhov, Operette de Vitold Gombrowicz ou La Noce chez les petits bourgeois de Brecht...). Par ailleurs, les actions se sont multipliées avec les diverses structures châtelleraudaises (centres sociaux, établissements d'enseignement, musée...) Les égos étant ce que nous savons qu'ils sont et l'âge venant, le collectif a fini par éclater et chacun est parti construire son propre projet.

La cie LaBase aujourd'hui ?

A mon initiative et forte des liens créés depuis l'expérience Bu avec de nombreuses structures et personnes à travers le spectacle vivant, accompagnée par Emmanuel Reveneau (artiste musicien et vidéaste) et par un bureau actif, la cie laBase est née en 2006. J'avais hésité à l'époque à quitter Châtellerault, je n'ai finalement pas eu envie d'abandonner de nouveau les miens et toutes celles et ceux que j'avais rencontrés et avec qui j'avais créé et construit durant ces années.

La cie laBase est soutenue depuis l'origine par le Conseil Général de la Vienne, la Région Poitou-Charentes, par l'Adami et consorts pour ses créations (XX, histoires de choeur et d'individus, The Lucid Brain integrative project, Au but de Thomas Bernhard ) et aidée en pointillé par la ville à travers l'achat de certains spectacles, une subvention annuelle de type associative et la mise à disposition depuis 2012 de locaux dans l'ancien conservatoire de musique et de danse. On la sollicite également pour des commandes (C'est vous le papa ?, 50 ans de la mjc de Lussac-Les-Châteaux...)

LaBase est l'unique compagnie professionnelle de spectacle vivant qui mette son expérience et son savoir-faire à la disposition des Châtelleraudais tant au niveau des disciplines de l'image et du son que du jeu d'acteur, à la fois en interne (studiolaBase, workshops, rencontres) ou par le biais des structures châtelleraudaises, avec l'ambition d'apporter une vision de la création contemporaine auprès du plus grand nombre (E2C, centres sociaux-culturels, établissements d'enseignement, crèches...)

Nous sommes aujourd'hui actifs à la fois sur le terrain auprès des différents publics dont les plus jeunes (création On s'en mêle), comme compagnie de création contemporaine privilégiant la réflexivité et l'hybridation de la musique, de la vidéo, du théâtre, d'écritures non conventionnelles (prose, essais, récits personnels...), et enfin en tant qu'opérateur pour la France du Y2K+X International Live Looping Festival, une organisation d'origine californienne maintenant présente dans le monde entier. LaBase assure ainsi en 2014 l'organisation de trois festivals de live looping en France (dont le Paris Loop Jubilee), réunissant cinq nationalités, et la coordination de la zone Europe (France, Suisse, Italie). Cette année, une vingtaine de festivals ont lieu en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Au programme pour  2014 également la diffusion du spectacle pour tout-petits On s'en mêle qui en est à plus d'une cinquantaine de représentations depuis sa création, la création Du couvent des Minimes au Théâtre Blossac, spectacle qui nous a été commandé par la ville pour l'inauguration du Théâtre Blossac et qui est programmé quatre fois pour les journées du patrimoine le week end du 19/20/21 septembre prochain et certainement, pour 2015, la reprise après remaniement d'Au but de Thomas Bernhard et un spectale musical.

Nous sommes une petite équipe, le manque de temps et de moyens se fait cruellement ressentir pour assurer le développement harmonieux de ces diverses opérations, mais nous ne sommes qu'une poignée à diffuser sur notre territoire les notions d'innovation et de création contemporaine, et c'est sans doute une forme de combat personnel que de ne pas lâcher ce qui nous tient debout.

Et le projet autour d'Hernani de Victor Hugo ?

J'ai monté il y a quelques années Angelo, Tyran de Padoue de Hugo sous forme d'un parcours théâtral pour l'adapter à différents lieux. Le projet Hernani est l'occasion de renouer avec cette langue. Avec Emilie Chauveau, qui encadre la classe de seconde de l'option théâtre sur l'année, nous nous sommes fixées plusieurs pistes de travail.

L'intérêt de proposer un "avant-spectacle" ne consiste pas à rejouer Hernani ou à proposer des extraits tels quels. Tout le monde a entendu parler de la bataille d'Hernani qui a opposé classiques et romantiques, le thème est éternel, l'idée ici est plutôt de la faire revivre au public. Pour la scénographie, un face-face s'est imposé : en mélangeant public et comédiens, les deux courants (classique et romantique) s'affrontent sur scène comme en salle au travers de textes choisis parmi les archives, d'anecdotes ayant eu lieu pendant les répétitions et les premières représentations de la pièce à la comédie française en 1830. On privilégie un travail collectif où l'ensemble des élèves est mis à contribution, en alternant scènes de choralité et scènes de situation : tout le monde est en permanence en charge d'une partition physique, sonore ou dramatique.

Confronter des élèves qui, pour la plupart, n'ont pas d'expérience et les aider à comprendre les enjeux et la langue de la pièce d'Hugo, à les traverser et à leur donner chair est un exercice intéressant : nous avons décidé de nous appuyer pour ce faire sur l'histoire du quatuor amoureux (plus simple à émulsionner que l'aspect politique également présent dans la pièce) et d'en proposer un résumé : Dona Sol, le personnage féminin sur laquelle toute l'histoire repose, est aimée à la fois de Don Carlos, le roi d'Espagne, et de son oncle Don Ruys Gomez auquel elle doit être mariée, mais elle aime Hernani, un banni.

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